Email Interview with
Daniel Denis, March 2024.
By Renato
Moraes & Michael Bohn. Thanx to Pierre
Tassone for assistance.
English version.
Le légendaire groupe belge Univers Zéro issu du mouvement
Rock in Opposition, est de retour avec un nouvel album intitulé
Lueur, suivant une absence de près de dix ans. Comme d’habitude
il est mené par leur batteur et principal compositeur Daniel
Denis.
Q: Bonjour Daniel,
Tu es de retour avec Univers Zéro après neuf ans de
silence et depuis la sortie de Phosphorescent Dreams un silence
du moins pour la plus grande partie du monde, peut-être pense-t-on
différemment en Belgique ?
DD:Il se fait que le groupe a cessé d’exister
après le concert en Allemagne au festival des Zappanales
en 2015.. je n’ai plus eu l’énergie, ni le courage
de continuer à faire de la prospection pour les concerts
et plus rien ne s’est pointé à l’horizon.
C’était une situation que j’avais déjà
connue auparavant. Le groupe s’est arrêté d’une
manière progressive et naturelle. Je me suis donc reporté
sur la composition et le studio.
Q: Tu es de retour avec la sortie de Lueur et ce nouvel
album semblait être au départ juste un travail de remix
de matériel issu de ton second album solo, mais cela s’est
transformé en un album entièrement nouveau. Comment
s’est opérée cette transformation ?
DD: L’idée au départ était
de remixer certains morceaux des « Eaux Troubles » en
y ajoutant quelques nouvelles pièces. Les nouveaux morceaux
ont pris le pas et ont donné sujet à un nouvel album.
Le travail au studio a mis beaucoup de temps parce que nous travaillions
sur une moyenne de quelques heures par semaine. Cette situation
qui a duré plus de deux ans était devenue à
la longue très routinière. Il était vraiment
temps de clôturer.
Q: Bien que beaucoup de musique nouvelle soit présentée
sur Lueur, il y figure de petits motifs issus de compositions anciennes.
Comment fait-on pour transformer une vieille idée en une
composition totalement nouvelle ?
DD: Je n’ai pas le sentiment de travailler
sur les mêmes bases issus d’anciennes compositions.
Il est toutefois normal que certains leitmotivs reviennent systématiquement
sur les nouvelles pièces.. C’est un phénomène
qui existe et qui est récurent chez tous les compositeurs.
En principe j’essaye de sortir du moule des précédentes
compositions mais certains rappels sont inévitables, ce n’est
pas forcément une mauvaise chose. C’est, je dirais,
une sorte de « marque de fabrique » qui permet à
musique d’UZ d’être reconnaissable parmi d’autres.
Ce que je regrette souvent, c’est que certains suiveurs d’UZ
sont restés calés sur la première période
du groupe et semblent fort réticents lorsque il y a d’autres
apports ou structures différents. La musique d’UZ a
toujours été en perpétuelle évolution
ça me paraît tout à fait essentiel.
Q: Tu joues pratiquement tout sur Lueur avec l’aide
de ton fils Nicolas, Kurt et Nicolas sur quelques morceaux. Pourquoi
ne pas avoir un groupe complet sur la totalité de l’album
? Comment as-tu choisi les musiciens pour jouer chaque composition
spécifique ? Comment c’est de jouer avec son propre
fils ?Il joue normalement de plusieurs instruments mais ici pour
la plupart du temps de la basse et il chante. Ses talents auraient-ils
pu être exploités davantage ?
DD: Sur cet album, j’ai travaillé
de la même manière que pour « Implosion »
ou « Rhythmix ». J’ai élaboré toute
les bases moi-même aux claviers et j’ai invité
mon fils Nico, Kurt et Nicolas Dechêne qui, par leur contribution
ont rendu les morceaux encore plus vivants. Concernant mon fils
Nicolas, il possède effectivement beaucoup de talent. c’était
une joie pour lui autant que pour moi de le faire participer à
cet album. S’il y a un futur disque, nous veillerons bien
sûr à ce qu’il y ait une collaboration plus étroite
encore.
Q: En 2015 Univers Zéro était une formation
très électrique et resserrée, qui avait donné
des concerts très positivement chroniqués en Europe
et en Amérique. Qu’est-ce qui a provoqué l’arrêt
soudain du groupe ?
DD: Oui effectivement, c’est toujours surprenant
de se rendre compte qu’il y a énormément de
« convaincus » par la musique d'UZ aux antipodes du
globe mais le manque (et depuis toujours) d’encadrement (management,
booking etc..) a souvent freiné la bonne marche du groupe
jusqu’à son arrêt. Les concerts trop isolés
exigeaient à chaque fois une remise en route. Le manque de
moyen financier a toujours été un souci majeur même
si nous obtenions de temps en temps des subventions provenant de
la Fédération Wallonie Bruxelles. Ces quelques raisons
invoquées me semble déjà bien suffisantes.
Q: À la suite de cet arrêt, il fut annoncé
que ce serait probablement un arrêt définitif. Presque
dix ans après, nous voici avec Lueur. Pourquoi cette longue
absence ? Le retour semble être bien accueilli par les fans
et la presse.
DD: L’arrêt des concerts oui pour
les raisons citées plus haut mais pas forcément les
disques ...
Q: Avais-tu pensé à inviter d’autres
anciens membres d’Univers Zéro à participer
aux séances d’enregistrement ?
DD: Je n’ai plus vraiment de contact avec
les anciens membres si ce n’est que parfois les musiciens
du dernier line-up qui ont participé à « Phosphorescent
Dreams.» .Chacun a suivi ses propres directions et il est
normal que les contacts se sont quelque peu éloignés.
Certains ont fait leurs premières expérience de groupe
avec UZ, il est toujours désolant qu’une fois parti,
la plupart ne vous donne plus du tout de leur nouvelle. Ca frôle
parfois l’ingratitude..
Aussi, et je ne citerai pas le nom, un ancien membre du groupe qui,
sans mon consentement, poste et vend sur Badcamp des morceaux «
live » d’UZ provenant de cassettes au son pourri et
qui, sous prétexte d’avoir participé à
ces concerts se permet de divulguer du matériel qui , pour
ma part, nuit au groupe.
Q: Pouvons-nous nous attendre dans un futur proche à
ce qu’un groupe fasse des concerts pour jouer ce matériel
?
DD: Il faudrait un miracle pour que ça
se fasse. C’est excessivement compliqué de remonter
un groupe. Sans les moyens financiers que ça implique cette
idée de refaire des concerts me paraît impossible.
Il faudrait une structure solide pour obtenir la disponibilité
des musiciens et refaire tourner la machine. D’autre part,
les acouphènes qui me poursuivent depuis quelques dizaines
d’années ne diminuent pas. Recommencer les concerts
ne ferait qu’empirer ce problème d’audition que
je tiens à préserver tant bien soit peu.
Q: Tu as depuis Uzed intégré de manière
croissante des boucles et constructions électroniques à
la musique d’Univers Zéro. Dans quelle mesure l’expérience
avec Art Zoyd a t-elle influencé cet aspect dans ta façon
de jouer et composer ?
DD: Je me suis aperçu au sein d’Art
Zoyd que les sampleurs pouvaient obtenir un apport intéressant
dans la musique surtout mélangés habilement aux autres
instruments conventionnels. Dans les années nonante, ils
m’ont revendu un sampleur Akaï 3200. Dès lors,
j’ai commencé à explorer cette machine intensivement
d’abord pour comprendre sa manipulation, pour ensuite trouver
des sons qui pouvaient correspondre à ce que je cherchais.
J’ai découvert par le biais de ce sampler d’innombrables
ressources pour enrichir mes compositions.
Q: Dans les années soixante-dix et quatre-vingt,
il était très courant de voir des projets de jazz
ou d’improvisation en parallèle avec Univers Zéro.
Des groupes comme Morton Fork Gang et Liquidation Totale. As-tu
participé à des projets jam de ce genre dans les dix
dernières années ? Qu’as-tu fait pendant tout
ce temps ?
DD: Rien de bien particulier ni d’un grand
intérêt musical.
Q: J’ai lu que Lovecraft, Huybrechts, Soft Machine,
Hendrix et le Pink Floyd du début avaient été
des influences majeures dans tes années de formation. Quelles
sont tes influences / sources d’inspiration aujourd’hui?
DD: J’ai été influencé
par beaucoup de musiques dans le courant des années 60’,
70’et 80’ mais pas seulement en musique. Je pense que
toutes ces influences se sont emmagasinées sur une période
bien définie. J’ai pu dès lors établir
une sorte de synthèse qui m’a permit de trouver les
bases de ma propre identité.
Q: On pourrait penser que la situation actuelle du monde
soit une source d'inspiration supplémentaire pour une musique
sombre et complexe comme celle d'UZ. Comment le ressens-tu personnellement?
Et paradoxalement, par rapport au titre du nouvel album, où
est la lueur?
DD: Le titre de l’album n’a pas de
signification exacte mais reste suffisamment malléable pour
se rappeler que l’espoir reste une forme essentielle et nécessaire
à notre existence.
Ma petite-fille Julia à qui j’ai dédié
l’album en est le symbole.
Q: Assez récemment, deux partenaires de groupes
majeurs dans lesquels tu as joué sont décédés,
Roger Trigaux et Gérard Hourbette. Souhaiterais-tu commenter
ou partager des souvenirs les concernant ?
DD: Thierry Zaboitzeff et Gérard ont toujours
été des amis de longue date et cela depuis 1978.
Nous avons toujours tenu en très bon terme et travailler
avec eux a toujours été un grand plaisir.
Roger c’est un peu différent. C’est quelqu’un
qui a toujours été entier dans sa musique mais qui,
à certains moments, avait tendance à exiger beaucoup
d’énergie des autres. C’était un musicien
talentueux mais qui possédait un caractère un peu
particulier avec parfois une tendance auto destructeur. Lorsque
Roger faisait partie d’UZ, il a apporté beaucoup d’énergie
avec des idées qui fusionnaient totalement avec les miennes.
Aussi, dans Présent, Roger m’a toujours laissé
l’entière liberté de créer toutes les
parties batterie.
Q: La pochette du nouvel album est impressionnante
et a été conçue par Thierry Moreau. Votre collaboration
a été fréquente depuis les derniers albums
d’Univers Zéro. Comment a-t-elle commencé et
comment fonctionne t-elle ? Lui proposes-tu une idée de départ
ou est-ce à lui de commencer ?
DD: Je ne me souviens plus vraiment des premiers
contacts avec Thierry. Ni comment on a commencé à
travailler ensemble. Généralement, il me propose plusieurs
idées. Je choisis où je lui indique des modifications
à faire . Concernant « Lueur », Fred Walher (de
Sub Rosa) a également contribué à la réalisation.
Q: Il devait travailler avec toi sur un DVD de concert(s)
d’Univers Zéro, il y a quelques années. Où
en est ce projet ?
DD: Je travaille sur les deux concerts d’UZ
effectués en juin 2009 au Triton (Paris) avec Gabriel Sevenin,
ingénieur du son que j’ai rencontré par le biais
de Sub Rosa. Le mixage est prêt et nous sommes maintenant
occupés avec le montage video. Le CD/DVD sortira chez Sub
Rosa dans le courant de cette année (j’espère)
pour les 50 ans de la formation du groupe.
Q: As-tu toujours joué sur le même kit de
batterie ? Lequel ?
DD: D’abord je possédais une Ludwig
à mes débuts (de 1968 à 1972) puis une Gretsch
depuis 1975. J’ai une snare de la marque Sonor (signature)
depuis les années 80. Les cymbales que j’utilise sont
des K. Zildjan (certaines sont des K.Zildjan originales turques).
Q: Quels sont les batteurs qui t’ont influencé
en rock et en jazz ? Selon toi, qui propose actuellement un travail
intéressant ?
DD: Pour ma part, je suis un fan absolu de Tony Williams, Il a
cette inventivité, cette énergie et une puissance
qui m’impressionne. Son jeu est reconnaissable aux premiers
coups de baguettes. J’aime beaucoup également le premier
batteur de King Crimson, Michael Giles., Il possède une musicalité
extraordinaire. Mitch Mitchell avec son jeu éclaté
de batterie qui a porter la musique d’Hendrix au top. Le jeu
déjanté de John French (Drumbo) batteur attitré
de Captain Beefhaert. Christian Vander avec son jeu anarchique,
Wyatt évidemment et encore beaucoup d’autres
Actuellement, je ne sais pas.. Je ne suis pas attentif à
tout ce qui se passe en musique. Il y a certainement d’excellents
batteurs. Mon ami. Suédois Morgan Agren en fait partie.
Q: Et le futur?
DD: La sortie du CD/DVD d’UZ live au Triton (2009). Un CD
+ vinyle qui sortira également chez Sub Rosa d’une
expérience faite dans les années 90 avec d’autres
musiciens sous le nom de « Narthex » Ca comprend des
improvisations hétéroclites enregistrées dans
diverses églises.
Sub Rosa va également continuer sur sa lancée en ressortant
chronologiquement les autres disques d’UZ.
Pour le reste on verra. Je ne sais pas dans quelle direction je
m’engagerai, ni quand, ni comment .. L’envie, la concentration
et une grosse motivation sont les moteurs nécessaires pour
que je puisse m’impliquer sur d’autres projets.
FIN
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